Communiqué de presse, Tchad, January 2010
Une Nouvelle Etude Démontre qu’ Hissène Habré supervisait les Prisons de la Police Politique où des Milliers de Personnes Sont Décédées.
10ème Anniversaire de l’Inculpation de l’Ancien Dictateur Tchadien
Janvier 29, 2010, N’Djaména, Tchad, Palo Alto, CA, Etats-Unis – A l’occasion du 10ème anniversaire de la première mise en accusation d’Hissène Habré au Sénégal, le Groupe d’Analyse des Données de Droits Humains de Benetech (GADDH) a réalisé une nouvelle étude qui démontre que l’ancien dictateur tchadien était bien informé des politiques et des pratiques de sa police politique. Cette étude pourrait s’avérer cruciale dans les poursuites, toujours retardées, contre Habré qui est accusé d’avoir instauré la pratique systématique de la torture et d’avoir organisé le massacre de milliers d’opposants politiques durant son règne sur le Tchad de 1982 à 1990.
La rapport du GADDH, “Violations de Droits Humains par l’Etat tchadien sous Hissène Habré, Analyse statistique de la responsabilité d’Hissène Habré en tant que supérieur hiérarchique et preuves de violations de droits humains au Tchad, 1982-1990,” se base sur des milliers de documents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) d’Habré, la police politique d’Etat qui poursuivait les opposants et gérait les prisons sous le régime Habré. Les archives de la DDS furent découvertes par hasard par Human Rights Watch en 2001 dans les quartiers généraux abandonnés de la DDS à N’Djaména.
“L’analyse des flux de documents menée sur plus de 2700 rapports administratifs illustre clairement le lien de commandement exercé par le Président Habré sur sa police secrète,” affirme Romesh Silva, démographe au GADDH et principal auteur du rapport. “Notre analyse confirme que très tôt des comptes rendus sur les conditions de vie des prisonniers et sur le taux de mortalité étaient rédigés par la DDS. Le plus stupéfiant c’est que ces informations collectées par Habré et la DDS pour documenter leurs propres abus peuvent maintenant servir à établir leur responsabilité.”
L’étude du GADDH documente la mort de prisonniers à l’intérieur des prisons de la DDS entre 1982 et 1990, et l’étendu de la responsabilité du gouvernement pour les violations des droits de l’Homme commises par la DDS. L’analyse des procès-verbaux de la DDS, comportant des rapports sur la situation et des certificats de décès, révèlent que le taux de mortalité dans les prisons de la DDS variait de 30 pour 1000 à 87 pour 1000 détenus. Ce taux est sensiblement supérieur au taux de mortalité moyen observé au Tchad dans les années 1970 et 1990 où il était de moins de 25 pour 1000. Un total de 12 321 victimes est mentionné dans les documents retrouvés et encodés, parmi lesquels figurent des informations concernant 1208 décès en détention.
L’analyse des archives par le GADDH a été conduite autour de la doctrine internationale de la Responsabilité du Commandement. Ce principe, consacré par les Conventions de la Haye et progressivement perfectionné par les jurisprudence des cours pénales et tribunaux internationaux, établit des critères détaillés permettant d’évaluer la responsabilité individuelle des chefs militaires et politiques. D’après ce principe, les supérieurs peuvent être responsables pénalement pour avoir omis d’empêcher que leurs subordonnés ne commettent des violations ou de punir les auteurs de violations effectivement commises.
L’analyse quantitative du GADDH confronte les archives aux critères principaux du principe, soit l’existence d’un lien de subordination, la connaissance par le supérieur de la commission des actes criminels ou de l’intention d’en commettre, l’omission de prendre les mesures nécessaire et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs. L’analyse révèle qu’Habré a reçu 1265 communications directes de la DDS concernant l’état de 898 détenus. Elle prouve aussi que:
- Des violations massives des droits de l’Homme ont été perpétrées dans les prisons de la DDS
- Habré et le Directeur de la DDS étaient bien informés des opérations de la DDS
- Il existait un lien de subordination entre Habré et les chefs de la DDS.
“Les preuves démontrent qu’Habré n’était pas un dirigeant distant qui ne savait rien au sujet de ces crimes,” affirme Jacqueline Moudeina, Présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme et avocate des victimes. “Habré dirigeait et contrôlait les forces de police qui torturaient ceux qui s’opposaient à lui et ceux qui appartenaient simplement au mauvais groupe ethnique.”
Habré, qui vit désormais au Sénégal, fut mis en accusation pour la première fois le 3 février 2000 par un juge sénégalais, avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente et refuse de le juger. En 2006, le Sénégal a accepté le mandat de l’Union africaine de poursuivre Habré en justice, mais a depuis refusé d’agir avant d’avoir reçu la totalité du financement de la communauté internationale.
“Cela fait dix ans que le Sénégal a inculpé Habré pour la première fois, mais en dix ans, des milliers de mes camarades survivants sont décédés et nous ne sommes pas plus près du commencement du procès,” affirme Souleymane Guengueng, 59 ans, qui est presque mort de fièvre dengue pendant les deux ans de mauvais traitements qu’il a subi dans les prisons tchadiennes. “A moins que le Sénégal et l’Union africaine agissent vite, il n’y aura plus aucune victimes lors du procès.”
L’étude du GADDH est le résultat de six années de travail technique et combine des informations provenant des familles des victimes et des procès-verbaux de la DDS. Comme le Sénégal, le Tchad et l’Europe examinent comment poser la question de la responsabilité, le rapport du GADDH pourra ainsi nourrir les discussions à propos des violations des droits de l’Homme par Hissène Habré et la DDS.
“Cette analyse approfondit notre compréhensions des politiques, pratiques et des résultats dans les prisons de la DDS durant la présidence de Habré,” a déclaré Jeff Klingner, co-auteur du rapport. “Notre analyse aide à déplacer le débat de la politique à la science, de l’émotion aux données, au savoir, à la reconnaissance de crimes passés et au final à la responsabilité.”
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